CHAPITRE 15
Dahlia haussa les épaules et fit un gros effort pour paraître nonchalante.
— Je n’ai pas encore récupéré les documents.
Il y eut un petit silence. Les GhostWalkers échangèrent des regards appuyés.
— Je croyais que tu t’étais déjà emparée des données, dit Nicolas. Pourquoi s’en prendraient-ils à toi si elles sont encore en leur possession ?
— En fait, ils ne les ont pas non plus. Au milieu de la mission, je me suis rendu compte que c’était un piège. Je savais qu’ils essayaient de me tromper avec un appât ; j’ai les données originales compilées par les scientifiques avant leur assassinat. Quelques jours plus tôt, alors que j’étudiais le bâtiment, j’ai cru reconnaître l’un des hommes à l’étage où on m’avait dit que se trouvaient les données. J’avais la forte impression de l’avoir déjà vu quelque part, mais je n’arrivais pas à mettre un nom sur son visage. Après être entrée par effraction dans le bâtiment, j’ai accédé à l’ordinateur en lisant rapidement le rapport, j’ai compris que c’était un faux. C’est à ce moment-là que la mémoire m’est revenue. C’était à l’université que j’avais déjà vu ce type. C’était un étudiant qui était passé furtivement devant le bureau de l’un des professeurs. Il avait jeté un coup d’œil par la porte et cela avait éveillé mon attention. Il s’était montré très discret, mais j’avais compris qu’il cherchait à voir à l’intérieur. Ce n’était pas un comportement habituel chez un étudiant, et ça m’est resté à l’esprit.
Gator se gratta la tête.
— Je suis un peu perdu, Dahlia. Tu as revu le même type dans le bâtiment le jour où tu cherchais un moyen d’entrer par effraction ?
Elle hocha la tête.
— Mais je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il s’était écoulé plus d’un an.
Sam éclata de rire.
— Ne t’excuse pas. La plupart des gens ne l’auraient même pas remarqué, et encore moins reconnu.
— En tout cas, il aurait mieux valu pour moi que je le reconnaisse immédiatement. Mais pour cela, il a fallu que je parcoure le rapport et que je découvre qu’il était faux. J’ai d’abord envisagé qu’on avait vendu de fausses données à l’entreprise, mais c’est là que je me suis rappelé où je l’avais vu. J’ai tout de suite compris que le dossier informatique était piégé et que je n’allais pas tarder à avoir de la visite.
Elle jeta un coup d’œil à Nicolas. Des vagues d’énergie malveillante affluaient autour d’elle.
— Tu commences à t’énerver. Je suis vivante, je ne cours aucun danger, et je n’ai pas eu tant de mal que ça à sortir du bâtiment. Le plus gros problème, c’étaient les véritables données. Je ne voulais pas qu’ils puissent les cacher quelque part. J’étais à peu près sûre qu’ils avaient été prévenus de ma visite au dernier moment et qu’ils ne devaient pas avoir eu le temps de les camoufler très soigneusement. La plupart des gens pensent qu’une protection informatique efficace suffit à protéger leur ordinateur, mais un très bon hacker peut pirater pratiquement n’importe quel système si on lui en laisse le temps. Je me suis dit que, pour cette raison, ils ne devaient rien avoir mis sur leurs ordinateurs. Si cette hypothèse était correcte, cela signifiait qu’il n’en existait qu’une seule copie, qui devait donc être protégée au maximum.
— Cela fait beaucoup de suppositions d’un seul coup, surtout avec des tueurs à tes trousses, remarqua Kaden. Tu aurais dû sortir de là en vitesse.
— J’étais quasi certaine de pouvoir rester cachée. Et je savais également que je pouvais mettre en œuvre quelques diversions pour les égarer. Ce qui m’inquiétait le plus, c’était le système de sécurité qu’ils avaient dû mettre en place pour les données. Je me suis dit qu’il devait être surpuissant, et qu’il y aurait peut-être un ou deux gardes. Malheureusement pour moi, je ne possède pas ton don pour détourner l’attention des gens.
Nicolas croisa les bras. Ses traits rudes formaient un masque impénétrable.
— Donc tu es restée en sachant pertinemment que c’était un piège et que tu n’avais personne pour assurer tes arrières. Calhoun n’aurait même pas pu aller te récupérer s’ils t’avaient capturée. Tu as vu ce qu’ils lui ont fait. Ils t’auraient tuée. Tu devais forcément le savoir, Dahlia. Ils généraient certainement de l’énergie malveillante.
Elle sentait enfler la colère de Nicolas, une émotion très inhabituelle chez lui. Si les autres n’avaient pas été là, elle aurait tendu la main pour l’apaiser, mais leur présence l’intimidait. Elle soupira intérieurement. Elle n’avait pas la moindre idée de la manière dont elle devait se conduire en présence d’autres personnes. Quelle relation entretenait-elle réellement avec Nicolas ? Ils avaient couché ensemble. C’était le cas d’une quantité de couples, et cela ne signifiait rien du tout.
— Bien sûr que si.
Nicolas prononça volontairement ces mots à haute voix en les sifflant entre ses dents. Il les articula pour lui prouver qu’elle était bien à lui. Elle risquait de prendre cela pour un réflexe primitif, mais il s’en moquait. Il n’était pas question qu’elle couche avec lui pour se débarrasser de lui juste après. Ils s’appartenaient l’un à l’autre. C’était dans l’ordre des choses. Il n’était pas question qu’elle mette son cœur sens dessus dessous pour ensuite le jeter comme un vieux mouchoir.
— Arrête ! cria Dahlia en reculant jusqu’à la porte. Tu te comportes comme un idiot.
Les autres GhostWalkers se regardèrent, interloqués. De toute évidence, ils ne percevaient pas l’énergie hostile émanant de Nicolas. Dahlia ne comprenait pas comment ils pouvaient y être à ce point insensibles.
— Tu sais, dit Sam en se grattant la tête, c’est la première fois que j’entends Nico se faire traiter d’idiot.
Il leva rapidement la main en signe d’apaisement quand elle braqua sur lui un regard courroucé.
— Je te saurais gré de nous informer de ce qui se passe. Pour être franc, aucun d’entre nous n’oserait le traiter de quoi que ce soit.
— Et pourquoi ?
Dahlia jeta un rapide coup d’œil à Nicolas. Ce dernier avait une hanche appuyée contre le mur et, même dans cette pose nonchalante, il parvenait à faire peur.
— C’est qu’il a l’air dangereux, expliqua Sam. Et il est doué pour manipuler les armes à feu, les couteaux, et tout un tas d’autres jouets dont une jolie petite chose comme toi n’a même pas envie d’entendre parler.
Dahlia comprit tout de suite que Sam voulait détendre l’atmosphère, et lui en fut reconnaissante, car l’énergie diminua instantanément. Elle eut l’impression qu’un sourire se formait dans son esprit, même si rien de tel ne se reflétait sur le visage dénué d’expression de Nicolas.
— Continue, je t’en prie, Dahlia, l’encouragea Kaden avec un petit regard d’avertissement pour le sniper. Qu’as-tu fait ensuite ?
La mâchoire de Nicolas était crispée, mais celui-ci ne dit rien.
— Je suis passée en mode invisible et me suis faite toute petite. Comme je ne peux pas changer l’apparence de mes vêtements, je les choisis toujours en fonction des murs des locaux que je dois visiter pour me fondre dans le paysage. Je peux manipuler la surface de ma peau, ce qui m’aide à brouiller mon image. De cette manière, je peux échapper à la vigilance des gardes. Je me suis cachée dans un conduit de ventilation pendant qu’ils fouillaient le bâtiment. J’ai choisi le plus petit disponible, dans lequel personne ne m’aurait crue capable de pénétrer. J’ai passé deux heures très inconfortables.
Kaden hocha la tête.
— Ce que tu appelles « mode invisible », c’est plutôt un mode caméléon, n’est-ce pas ?
— Exactement. Je me suis beaucoup entraînée, et je peux désormais me fondre dans la plupart des environnements.
Tucker inspira bruyamment.
— J’ai vu ce dont tu étais capable sur les bandes vidéo. Ça doit être pratique. J’aimerais bien pouvoir le faire moi aussi.
— Pourquoi n’as-tu pas fichu le camp ? demanda Sam avec curiosité.
— Je me disais qu’ils allaient évacuer les vrais documents. J’étais certaine qu’ils vérifieraient que je ne les avais pas trouvés, et qu’ils me mèneraient donc tout droit jusqu’à eux. Cela m’aurait épargné la peine de fouiller tous les casiers du coffre, et j’aurais ainsi pu m’en emparer et ressortir rapidement.
Nicolas s’éloigna du petit groupe. Les GhostWalkers étaient fascinés par le récit de l’aventure, mais ce qu’il entendait le rendait malade. Rien ni personne ne l’avait jamais affecté comme elle le faisait. Il la sentait en lui. Dans sa tête, dans son corps, même dans son cœur. Pour un homme tel que lui, c’était handicapant. Il devait garder la tête froide et son corps ne pouvait pas être noué en permanence, surtout pas en présence de Dahlia. Le simple fait de l’imaginer face à un tel danger lui donnait la nausée.
Il inspira profondément et fit tous les efforts pour s’éclaircir les idées.
— Nico. (C’était Kaden, qui le rappelait parmi eux.) Si nous voulons aider Dahlia à planifier la récupération des données, on aura besoin de toi. C’est toi qui supportes la plus grosse partie de la charge et qui éloignes l’énergie de nous.
Nicolas lança un regard à son ami, puis reporta son attention sur les eaux vaseuses du bayou. Kaden endossait lui-même une bonne part de ce fardeau. C’était un stabilisateur tout aussi efficace que Nicolas, qui protégeait ses camarades avec soin. Nicolas soupira. Il avait beaucoup d’affection pour Kaden, mais ne voulait pas qu’un autre que lui soulage Dahlia de l’énergie, ou pire, la diffuse dans l’émotion la plus inflammable possible.
Nicolas hocha la tête.
— Ne t’en fais pas, vous pouvez compter sur moi.
Dahlia s’approcha de lui et posa la main sur son bras. C’était un petit geste, mais il savait l’effort qu’il lui coûtait. Elle n’aimait pas le contact physique, et encore moins en public. De son pouce, il lui effleura le poignet.
— Et ensuite, qu’est-ce que tu as fait ? demanda-t-il.
— J’ai attendu dans le conduit jusqu’à ce que je les entende abandonner les recherches, puis j’ai suivi le principal suspect, un homme du nom de Trevor Billings. Il dirige l’un des nombreux départements de Lombard Inc.
Il s’agissait d’une entreprise de premier plan à laquelle le ministère de la Défense faisait régulièrement appel pour la fabrication de prototypes et d’armes. Elle était réputée pour l’imperméabilité de son système de sécurité.
— Billings était surveillé depuis un certain temps. Le NCIS pensait qu’il vendait des armes à des terroristes et à d’autres gouvernements, à tous ceux assez riches pour se les offrir, en fait. Malheureusement, ils ne peuvent pas le prouver. Il paraît qu’il est lui-même à la tête d’une petite armée, et qu’il s’est assuré le soutien de plusieurs sénateurs pour décrocher les contrats qu’il souhaite. Jesse pensait qu’une personne au sein du NCIS le renseignait lorsque de nouvelles idées d’armes apparaissaient, et que Billings volait les plans avant l’appel d’offres pour les contrats. De cette manière, il n’avait ni à payer ses sénateurs, ni à partager les bénéfices. Il lui suffit de faire en sorte qu’un accident arrive au chercheur ou à l’inventeur, puis il s’approprie son idée et la vend au gouvernement ou au plus offrant. Ainsi, il est gagnant sur tous les plans.
— Ce n’est pas une mauvaise idée. S’il se débarrasse des chercheurs en provoquant des accidents et s’il couvre tout le territoire des États-Unis sans frapper trop souvent au même endroit, il peut très bien s’en tirer sans que personne se doute de rien. Le gouvernement finance énormément de centres de recherches. D’un bout à l’autre du pays, beaucoup d’enseignants, d’étudiants et d’institutions privées cherchent des subventions, songea Kaden à haute voix. Je comprends parfaitement ce qu’il peut gagner à se procurer les données, puis à annoncer que l’idée est de lui pour pouvoir la vendre.
— Jesse voulait mettre un terme à cette combine, expliqua Dahlia. Il cherchait le moyen de prouver que Billings avait fait tuer les chercheurs, et il voulait récupérer les documents.
— Nous ne voudrions surtout pas décevoir Jesse, surtout si ta vie est en jeu, dit Nicolas.
Quelque chose dans sa voix donna des frissons à Dahlia. Il y avait de la glace dans ses yeux et dans ses veines, et sa bouche était une fente impitoyable.
— Je suis très fière de ce que je fais. Je n’avais jamais connu l’échec, et ne comptais pas en essuyer un cette fois-ci.
Dahlia voulait paraître calme mais, à sa grande horreur, elle donnait plutôt l’impression de vouloir apaiser Nicolas, ce qui ne fit que raviver son énervement. Elle retira vivement sa main, le fusilla du regard et s’éloigna du groupe d’hommes qui semblait soudain l’étouffer.
— Je n’ai pas à me justifier, ni devant toi, ni devant personne. Je suis restée pour mener ma mission à son terme, voilà tout.
Pourquoi avait-elle l’impression qu’elle lui devait une explication ? Décidément, elle avait vraiment besoin d’un guide sur les relations amoureuses. Les hommes étaient des imbéciles. Des crétins de première classe, et les femmes ne valaient pas mieux, car elles passaient leur temps à ménager leur ego.
Nicolas la suivit, l’air penaud. Il savait que le problème de Dahlia venait en partie de la proximité de tant de personnes. Outre l’impression qu’elle était de nouveau en train de lui glisser entre les doigts, les craintes qu’il éprouvait pour sa sécurité ne faisaient qu’amplifier ses propres émotions, générées par l’énergie dont il soulageait Dahlia et ses hommes. Il soupira. Bel exemple de discipline et de self-control.
— Je suis désolé, Dahlia. Sincèrement.
Elle voulait rester en colère contre lui. Cela lui aurait offert une sorte de protection, mais la sincérité douloureuse de la voix de Nicolas ne lui en laissa aucune chance. Elle saisit la main qu’il lui tendait. Il l’attira contre lui, si près qu’elle put sentir la chaleur de son corps à travers le fin tissu de ses vêtements.
— Je suis très forte dans mon domaine, Nicolas. S’il y a des risques, je fais tout pour les minimiser. Et ma petite taille est un avantage. Je travaille de nuit, quand la plupart des gens sont rentrés chez eux. Le plus souvent, j’entre et ressors sans que personne s’en aperçoive.
— Dahlia, dit Kaden, tu dois forcément voyager. Prends-tu l’avion ? Comment fais-tu lorsque tu dois te déplacer ?
— Par avion privé. Je fais toujours appel au même pilote. C’est un ancien militaire qui travaille désormais pour le NCIS. Il faisait partie des Bérets verts. Presque tous les hommes du NCIS que j’ai rencontrés ont suivi une formation au sein des Forces spéciales. (Elle regarda Kaden.) Ce n’est pas normal, n’est-ce pas ?
— Sont-ils des GhostWalkers ? demanda Kaden.
— Je n’en ai aucune idée.
Elle haussa légèrement les épaules, puis se passa une main dans les cheveux.
— Peut-être, reprit-elle. Cela pourrait être ce qui les lie. Ils semblent tous se connaître, et sont très proches les uns des autres. Le pilote s’appelle Max, et lorsque je suis avec lui, je n’ai jamais aucun souci. Comme nous ne parlons que très peu, je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Il est très silencieux.
— Max comment ?
Kaden fit signe à Tucker d’aller chercher le téléphone satellite et d’appeler Lily. Plus ils en sauraient et mieux ce serait pour eux.
— Logan Maxwell. Tout le monde l’appelle Max.
Dahlia regarda Tucker relayer l’information dans le combiné. Elle avait du mal à croire que Lily était à l’autre bout. Pendant très longtemps, elle n’avait pas su si Lily existait vraiment, ou si elle n’était qu’un produit de son imagination. Et à présent, elle avait presque peur de croire en elle.
Tucker les regarda, l’air grave.
— Quelqu’un essaie de nous localiser à l’aide d’un matériel ultramoderne. Cet endroit n’est peut-être plus sûr.
Dahlia sentit son cœur battre plus fort. Les soldats, en revanche, ne semblaient pas particulièrement inquiets. Ils étaient habitués à la violence. Elle prit une profonde inspiration et tenta de cacher sa peur. Elle ne craignait pas tant l’échange de coups de feu que l’assaut d’énergie violente qui s’ensuivrait. Cette faiblesse paraissait bien importune, face à la force des autres GhostWalkers.
Nicolas passa le bras autour de son épaule.
— Comment contactes-tu Maxwell lorsque tu as besoin de lui pour une mission ?
— C’est Jesse qui organise généralement le transport, mais il m’arrive aussi d’appeler la secrétaire de Henderson pour qu’elle s’en occupe. Elle m’indique un petit aérodrome et une heure. Max est toujours là bien avant moi, prêt à décoller.
— Allons-y. Contacte la secrétaire. Comment s’appelle-t-elle ? demanda Kaden.
— Louise Charter. Je ne l’ai jamais rencontrée, mais nous nous sommes parlé au téléphone à de nombreuses reprises. Elle est très gentille.
Les hommes échangèrent de nouveaux regards. Dahlia haussa les sourcils.
— Quoi ? Vous n’allez quand même pas me dire que c’est Louise qui est derrière tout cela ! Elle a près de soixante ans, c’est la veuve d’un ancien agent du FBI.
— Nous verrons, répondit Kaden. Demande-lui d’organiser un vol pour te rendre dans la région de Washington, afin que nous puissions rendre une petite visite aux agents. Je crois qu’il serait très utile de faire leur connaissance.
— Et dangereux, ajouta Tucker. Si ce sont des GhostWalkers.
— Si c’est le cas, d’où sortent-ils ? Pourquoi n’avons-nous jamais entendu par d’eux ?
— Calhoun était au courant de notre existence, dit doucement Nicolas. Il a reconnu mon nom, et n’a manifesté aucune surprise lorsque je l’ai contacté par télépathie. Il savait.
Dahlia sentit immédiatement l’impact de tous leurs regards combinés.
— Ne me dévisagez pas comme ça. Je n’avais jamais entendu parler de vous. Si Jesse était au courant, il ne m’en a jamais rien dit.
— Où sont les données, maintenant, Dahlia ? demanda Nicolas sans prendre de gants.
— Dans le coffre-fort. Je me suis contentée de les changer de compartiment. Leur système de sécurité est très perfectionné, tous leurs chercheurs accèdent aux documents sensibles grâce à des codes secrets, des lecteurs d’empreintes digitales et des clés. Je n’ai pas eu le temps de les sortir du bâtiment. J’avais peur de me faire prendre et j’ai préféré les mettre en sécurité. Je me suis dit qu’il valait mieux les laisser croire que je les avais emportés, et revenir les chercher plus tard, donc je les ai déplacés.
— Comment as-tu réussi à tromper la sécurité ? demanda Kaden.
Elle haussa les épaules.
— J’ai suivi les gardes lorsqu’ils sont entrés. Ce n’était pas très difficile. Ils ne me cherchaient pas et j’ai brouillé les caméras. Je le faisais régulièrement depuis plusieurs jours, pour les pousser à croire à un défaut de fonctionnement. Ils n’ont pas pensé à regarder dans l’ombre pour voir si je les suivais. J’ai eu plus de mal à sortir qu’à entrer.
— Donc tu dois retourner dans le bâtiment et récupérer les données avant qu’ils s’aperçoivent qu’ils les ont toujours, conclut Kaden.
— Exactement, répondit Dahlia.
— Appelle la secrétaire et demande-lui d’organiser le transport, ordonna Nicolas. Nous te suivrons pour nous assurer que tout se passe sans accrocs. Et avec un peu de chance, nous en profiterons pour démasquer le traître.
Dahlia secoua la tête.
— Je travaille seule. Je ne peux pas avoir de partenaire. Tu le sais, Nicolas. C’est trop dangereux.
Kaden rit doucement.
— On voit que tu n’as jamais collaboré avec les GhostWalkers, Dahlia. Occupe-toi de récupérer les documents, et nous nous chargeons de te dégager la voie. Ne t’inquiète pas, notre unité est très efficace.
Dahlia hésita et se demanda s’ils n’étaient pas en train de lui forcer la main. Elle avait besoin de réfléchir à tout cela avant de s’engager plus loin avec tant d’autres personnes. Mais, malgré son appréhension, elle s’empara du téléphone.
— Je vais avoir pas mal d’explications à donner, fit-elle remarquer.
— En effet, répondit Nicolas.
Les hommes regardèrent Tucker pendant que la jeune femme s’entretenait avec Louise Charter. Le soldat avait l’œil rivé sur l’écran de son ordinateur portable.
— Bingo. On essaie bien de nous localiser. J’ai lâché quelques écrans de fumée, juste assez pour qu’ils ne se doutent pas qu’on les a repérés, mais ils vont finir par nous trouver. Je peux déjà vous dire qu’ils ont une équipe dans le secteur.
— Ce qui reste de leur équipe, plutôt, dit Nicolas.
— Continue de parler, Dahlia, pour leur permettre de bien nous localiser, conseilla Kaden.
La jeune femme lui jeta un regard noir. Elle n’avait pas l’habitude de recevoir des ordres, et encore moins de laisser ses ennemis la repérer. Elle travaillait dans l’ombre, et le fait de se retrouver en pleine lumière était incroyablement inconfortable. Elle observa Nicolas. Ses larges épaules bloquaient la lumière du soleil et, l’espace d’un instant, elle ne vit que lui. Il semblait invincible et dégageait l’impression d’un homme qui n’abandonnerait et ne s’arrêterait jamais. Elle continua de discuter avec Louise de choses anodines tout en comptant les secondes jusqu’à ce que Tucker lui fasse signe de raccrocher.
— Henderson n’est pas disponible, ce qui signifie qu’il n’est pas au bureau, sinon il aurait insisté pour me parler. Louise a proposé de lui transférer mon appel, mais j’ai refusé, expliqua-t-elle. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
— Nous savons désormais qu’une personne du NCIS est à tes trousses, répondit Kaden.
— Je le savais déjà. En quoi est-ce que cela restreint la liste des suspects ?
— À mon avis, il ne doit pas être facile de placer un mouchard sur le téléphone d’une secrétaire du NCIS, poursuivit Kaden. Je crois que l’on devrait s’intéresser d’un peu plus près à cette femme.
Sans qu’elle sache pourquoi, l’idée que Louise puisse être le traître mettait Dahlia très mal à l’aise. Elle l’aimait bien. Elle ne la connaissait pas beaucoup mais l’appréciait, et c’était l’une des rares personnes avec qui elle était en contact. Elle commençait à penser que le monde n’était fait que de menteurs. Au fond d’elle-même, elle avait envie de rester à jamais dans l’ombre. Elle y était tellement à l’abri, beaucoup moins vulnérable que dans le monde extérieur. Elle força ses lèvres à former un petit sourire.
— J’ai besoin d’un peu d’air. Pendant que vous mangez, je crois que je vais m’isoler un peu.
Elle ne regarda pas Nicolas lorsqu’elle leur fit cette annonce, car elle avait besoin de s’éloigner également de lui.
Dahlia monta sur le toit, l’endroit le plus sûr auquel elle ait pensé. Ils avaient peu de temps devant eux. Quelqu’un avait localisé l’appel pour savoir où elle se trouvait, soit le NCIS, soit quelqu’un d’autre, quelqu’un qui voulait sa mort. D’une manière ou d’une autre, il était plus que probable qu’ils auraient très bientôt de la visite. Elle se cacha le visage dans les mains et se força à respirer profondément. Les récents bouleversements de sa vie ne lui avaient pas laissé le temps de réfléchir ou d’envisager l’avenir. Elle n’avait fait que fuir pour sauver sa peau. Elle n’avait même pas pu pleurer décemment Milly et Bernadette.
Elle plongea la main dans sa poche pour sentir le contact familier de ses améthystes. Elle devait se concentrer sur la mission en cours. Avant tout, il lui fallait des vêtements. Tout ce qu’elle possédait avait disparu dans l’explosion de sa maison. Elle allait devoir en acheter grâce à l’argent que Jesse avait caché dans la planque. Elle savait l’importance que revêtait la capacité de se fondre dans le paysage.
Dahlia leva la tête pour sentir la petite brise qui venait du canal et écouta les bruits réconfortants du bayou. Mais elle savait qu’au fond d’elle-même elle attendait que Nicolas monte la rejoindre, et cela l’effrayait encore plus que les ennuis qui s’amoncelaient à l’horizon. Une musique lui arriva jusqu’aux oreilles, un rythme de reggae entraînant et enjoué. Gator se mit à chanter. Elle le regarda sortir un gril et entamer les préparatifs du repas. Elle se dit qu’il était étrange de se retrouver assise sur un toit en attendant de participer à un barbecue entre amis.
Dahlia observa les hommes se rassembler autour de Gator pendant que ce dernier traçait le contour de leur île dans la terre à l’aide d’un bâton. Il dessina la rive et les arbres. Nicolas s’approcha pour étudier cette carte improvisée. Dahlia tendit l’oreille pour les écouter malgré la musique. Aucun d’entre eux ne semblait se soucier qu’elle puisse les entendre tandis qu’ils mettaient au point ce qui semblait être un plan de défense en cas d’invasion.
— Il faut qu’on sache par où ils vont arriver. Gator, c’est toi qui connais le mieux la topographie des lieux. Choisissons un endroit et attirons-les vers un point d’arrivée approprié, ordonna Nicolas tout en adressant un clin d’œil à Dahlia.
Vu la situation, cela ne fit rien pour la rassurer.
— Loin de la cabane, dit Gator. Il va falloir créer des barrages à l’aide d’obstacles naturels, pour éviter qu’ils se doutent de quelque chose. J’ai toutes les pancartes nécessaires pour les éloigner des endroits que nous voulons protéger.
— Il faut essayer de les attirer dans une zone d’embuscade naturelle, poursuivit Nicolas. On posera quelques mines Claymore avec des fils de détente.
— Moi, je m’occupe du repas, proposa Sam. Ian se débrouille très bien avec les mines. Sans compter qu’il adore les moustiques du marais.
Nicolas fit comme s’il n’avait pas entendu.
— Il faut installer des fusées éclairantes aux endroits où ils pourraient débarquer par surprise. Tucker, tu peux t’en charger ? J’aurai besoin de tous les autres pour poser les obstacles une fois que Gator nous aura indiqué le meilleur emplacement pour une embuscade. Je ne tolérerai aucune erreur. Faisons de notre mieux pour limiter leurs possibilités de déplacements. Ils devront être tous rassemblés au même endroit lorsque nous déclencherons notre piège.
Gator continuait à tracer sa carte.
— Là, c’est le canal. Je pensais qu’on pourrait s’y installer, Nico. La zone n’est pas trop marécageuse, et il y a plus de chances qu’ils tentent de la traverser plutôt que de passer ailleurs. Ils penseront que la végétation sera également à leur avantage, mais ils seront coincés. Ils tomberont sur un mur rocheux huit cents mètres plus loin, et nous pourrons les encercler complètement.
Nicolas étudia minutieusement le dessin de Gator.
— D’accord, allons-y comme ça. Gator, il faut qu’on démonte le ponton, sinon ils risquent d’attaquer directement la cabane au mortier.
Gator haussa nonchalamment les épaules.
— Tout le monde doit faire des sacrifices. Au boulot. Sam, ne massacre pas ces côtelettes. Je les ai fait mariner dans ma sauce secrète.
— Ne t’en fais pas, répondit Sam. Je m’occupe du ponton pendant qu’elles cuisent. Attention aux sangsues, les gars, ajouta-t-il gaiement en leur faisant un signe de la main.
Les hommes se séparèrent et partirent en courant vers les endroits désignés. Il existait trois zones principales de débarquement, et une secondaire. Tucker installa le système d’alarme par fusées éclairantes tandis que Gator plaçait des pancartes indiquant la présence d’entonnoirs le long de la rive. Les panneaux lui avaient déjà servi quelques années auparavant pour détourner la police de l’île où se cachait son frère délinquant. Afin de rendre le débarcadère choisi plus attirant, ils enfoncèrent deux vieux poteaux dans la vase pour inciter leurs ennemis à y attacher leur embarcation, puis piétinèrent la végétation aux alentours pour faire croire que le chemin était régulièrement emprunté.
Dahlia les regarda travailler depuis le toit. Ils avaient ôté leurs chemises et s’affairaient à déplacer des broussailles et à poser des objets à divers endroits. Elle voyait un nuage de poussière qui s’élevait, mais ne pouvait dire avec exactitude ce qu’ils étaient en train de faire. Pendant ce temps, la musique continuait à déverser son rythme joyeux, et l’odeur entêtante des côtelettes grillées montait jusqu’à elle.
Dahlia descendit du toit et se dirigea vers la rive où Sam était en train de démonter le ponton de fortune. Il en camoufla soigneusement chacune des planches.
— Qu’est-ce que votre bande de maniaques a en tête ce coup-ci ? demanda-t-elle, les mains sur les hanches.
S’ils prévoyaient de recourir à la violence, elle ne percevait pas le moindre indice de peur ou d’appréhension. Ils semblaient tous travailler avec entrain. Elle ne détectait que des signes de faim générée par les effluves de cuisine qui se répandaient sur la petite île.
— Nous nous mettons en appétit, rien de plus, lui assura Sam. Tu veux bien retourner les côtelettes ? Si je les fais brûler, ils me jetteront en pâture aux alligators.
— Puisque tu abordes le sujet, nous ne sommes plus seuls, fit-elle remarquer.
Sam, enfoncé dans l’eau jusqu’à la taille, jeta un coup d’œil au saurien le plus proche, qui prenait le soleil sur la rive à quelques mètres à peine de lui.
— Ils sont hideux, hein ? J’ai l’impression qu’il attend que je lui tourne le dos pour me sauter dessus.
Dahlia marcha nonchalamment jusqu’au barbecue et regarda où en était la cuisson.
— Je te proposerais volontiers de surveiller les alligators, mais j’ai comme l’impression que vous me cachez tous quelque chose. Le truc de se mettre en appétit en jouant les Robinson Crusoé, ça me paraît louche, figure-toi. (Elle regarda délibérément quelque chose derrière Sam.) Oh, regarde, voilà un petit copain pour notre alligator.
Sam se retourna précipitamment et scruta l’eau des yeux, puis reprit vite sa position initiale pour surveiller l’alligator sur la rive.
— Où ça ? demanda-t-il en détachant une planche et en la brandissant comme une arme.
Dahlia retourna soigneusement chaque côtelette, très amusée par cette nouvelle expérience.
— J’ai dû me tromper.
— Ce n’est pas gentil. Pas gentil du tout, dit Sam en lui lançant un regard noir.
— Ça aurait pu être un alligator, mais c’était plus probablement des bulles ou une branche, ou un truc du genre. Tu ne te sens pas mal à l’aise à rester dans l’eau comme cela ? J’ai lu un livre sur les alligators qui disait qu’ils aimaient attaquer en jaillissant des profondeurs, mais c’était peut-être un livre sur les requins, je ne sais plus.
Sam jura et sortit à la hâte de l’eau, sans lâcher la planche qu’il tenait entre lui et l’alligator couché sur la rive. L’animal ne bougea pas mais poussa un petit grognement.
Dahlia éclata de rire.
— Ne me dis pas que tu as peur de ce petit alligator de rien du tout ? Il n’a même pas fini sa croissance.
— Ce n’est pas bien, ce que tu fais, répondit Sam. J’espère que Nicolas connaît ta véritable nature. Je parie qu’il n’a jamais vu cette facette de ta personnalité.
— Bien sûr que non, admit Dahlia avec insouciance. Alors, est-ce que tu vas me dire ce que toi et tes joyeux compagnons avez en tête ?
— Mes joyeux compagnons ?
— Tu n’as jamais lu Robin des Bois ?
Sam essuya son visage trempé de sueur tandis que les autres revenaient au camp.
— Dieu merci, vous revoilà ; ne me laissez plus jamais seul avec elle. Je préfère encore les alligators.
— J’ai le pressentiment que nous devrions bouger, dit Ian. J’ai comme des frissons dans le dos.
Il repoussa son assiette pleine d’os de côtelettes avec une satisfaction évidente.
— En tout cas, t’es un cuistot de première, Gator.
— Hé ! C’est moi qui ai fait la cuisine, rappela Sam en foudroyant Dahlia du regard. Et ça n’a pas été facile.
— Je serai franchement furax si quelqu’un démolit ma cabane, dit Gator avec un clin d’œil pour la jeune femme. Je leur réserve quelques surprises à ma façon si jamais ils posent le pied chez moi.
— Ce ne sera pas très efficace s’ils tirent au mortier, fit remarquer Nicolas. Fichons le camp avant de nous retrouver coincés.
Dahlia regarda les hommes mettre en silence leurs sacs sur leur dos. Elle ne savait pas du tout pourquoi ils avaient attendu l’ennemi comme si de rien n’était, allant jusqu’à se jeter avidement sur la nourriture, avec la plus parfaite désinvolture. Elle sentait la tension monter en elle de minute en minute, mais pourtant aucun d’entre eux ne trahissait le moindre signe d’anxiété.
Elle s’installa avec eux dans les embarcations. Elle monta à bord de la première avec Nicolas et Kaden, Tucker et Sam prirent la deuxième, et Gator et Ian la troisième. Ils remontèrent sans hâte le canal jusqu’à un autre îlot, à quelques mètres de la cabane de Gator.
Dahlia s’éclaircit la voix lorsqu’ils se mirent à tirer les esquifs à travers la forêt de roseaux qui encombrait le marais.
— Pouvez-vous me dire pourquoi nous n’allons pas à l’aérodrome ?
— Ne t’en fais pas, Dahlia, répondit gaiement Sam.
Trop gaiement à son goût. Elle regarda Nicolas avec méfiance.
— Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire ?
— Je te mets à l’abri quelque part, et ensuite on fera une petite reconnaissance.
— Et tu n’as pas jugé nécessaire de m’en parler ?
— J’aurais dû, admit-il, mais très franchement, j’ai supposé que tu devinerais que nous leur tendrions un piège. Nous n’aimons pas laisser les choses en suspens, Dahlia. Ils ne sont là que dans un seul but. Te tuer. Je ne partirai pas d’ici tant que planera la moindre menace sur toi dans ce bayou.
Son ton implacable lui fit froid dans le dos. Elle détourna les yeux et regarda à nouveau la rivière. Le code qui régissait la vie de Nicolas faisait inexorablement partie de l’homme qu’il était. L’homme de qui, elle le craignait, elle était en train de tomber amoureuse. Elle aurait dû savoir qu’il ne laisserait aucune menace peser sur elle. Il en était incapable. Il ne servait à rien de lui rappeler le danger qu’ils couraient, ou de lui suggérer que la fuite était peut-être la meilleure solution. S’enfuir n’était pas dans son caractère, à moins que cela serve ses objectifs… ou sa traque.
Elle le regarda et vit le guerrier en lui, l’incarnation de l’intégrité, de l’honneur, de la vaillance et du courage. Il poursuivrait ses ennemis jusqu’en enfer, et n’abandonnerait jamais. Dahlia poussa un petit soupir.
— Je vois d’ici la forme que va prendre votre reconnaissance.
Nicolas se retourna pour faire signe aux autres d’abandonner les bateaux, puis lui prit le bras.
— Reste à l’abri des coups de feu. À quelle distance dois-tu te trouver pour éviter les assauts de l’énergie ?
— Je n’ai jamais vraiment mesuré.
Elle hésitait entre la gratitude et la colère. C’était tout le problème des relations amoureuses, comprit-elle. Une femme était constamment tiraillée entre le désir d’être protégée par un homme tel que Nicolas et l’envie de lui donner un coup de pied bien senti pour le punir de son comportement autoritaire.
Il porta la main de la jeune femme à sa bouche et lui mordilla les doigts, continuant à l’observer de ses yeux noirs tandis qu’ils progressaient dans les broussailles.
— Tu n’es pas inquiète, tout de même ?
— Pourquoi le serais-je ? C’est la routine. Tu sais bien : des bombes, des incendies, des gens qui se tirent dessus. Pourquoi devrais-je me faire du souci ? D’autant plus que nous pourrions être en train de m’acheter des vêtements, ou d’embarquer dans un avion. Je ne suis pas le moins du monde inquiète.
— Hmmm, réfléchit-il à haute voix. J’ai lu quelque chose là-dessus dans le manuel des couples. Cela s’appelle le sarcasme féminin, et cela signifie généralement que l’homme a de gros soucis à se faire.
Il trouva un coin au frais, caché près du centre de l’île.
— Reste ici jusqu’à ce que je revienne te chercher.
— Qu’est-ce que tu penses prouver exactement en faisant cela ?
— Je détourne l’attention de l’ennemi tandis que nous recherchons le traître et que nous récupérons les données, répondit Nicolas tout en baissant la tête pour l’embrasser. Ne bouge pas d’ici.
Il se força à s’éloigner d’elle, en se disant qu’elle l’attendrait jusqu’à son retour, mais sachant qu’elle était parfaitement capable de lui désobéir. Il s’approcha de ses camarades et leur signala de passer en mode de combat. Ils sortirent leurs armes et calèrent leurs sacs sur leurs épaules avant de s’éparpiller pour attendre l’ennemi, tapis dans les roseaux drus.
Un bruit de rames se fit entendre ; quelques oiseaux s’envolèrent et le bourdonnement des insectes cessa un instant. Cela suffit également à mettre les GhostWalkers en alerte. Gator indiqua qu’il avait repéré l’embarcation qui faisait prudemment le tour de l’île à la recherche d’un point de débarquement potable. Il leur communiqua également leurs effectifs en utilisant un bruit du bayou, en l’occurrence l’imitation parfaite d’un alligator en rut. Cinq passagers. Nicolas étendit les doigts et fit signe à ses compagnons.
Dès qu’ils furent sûrs que le bateau s’était arrêté à l’endroit prévu, et que leurs adversaires étaient en train de l’amarrer aux deux poteaux qu’ils avaient plantés un peu plus tôt, les GhostWalkers se glissèrent dans l’eau et, munis de tiges de roseaux en guise de tubas, plongèrent et traversèrent le canal pour encercler l’ennemi. Une fois en place, ils attendirent sous la surface vaseuse que leur éclaireur leur fasse signe de continuer.
Nicolas sentit la petite tape sur son bras et avertit ses hommes. Ils se redressèrent lentement, telles des créatures du marais, grimés de noir et équipés de M-4 et de couteaux, leurs armes de prédilection. Immobiles comme des statues, ils restèrent dans l’eau, camouflés par les roseaux et les plantes, ne laissant émerger que la tête et les épaules, les fusils pointés sur leurs cibles.
Les cinq tueurs se déployèrent sur l’île en silence. Les deux premiers empruntèrent le chemin qui avait été tracé pour eux, et les trois autres restèrent à bonne distance. Nicolas et les GhostWalkers sortirent de l’eau sans un bruit et rampèrent jusqu’à la terre ferme, les fusils prêts à tirer. Ils formaient une unité soudée qui avait mené de nombreuses missions à leur terme, et savaient où se trouvaient leurs camarades sans même avoir à regarder. Ils se faufilèrent dans la végétation drue à la suite des cinq assassins en restant près du sol, invisibles et inaudibles.
Une grenouille commença à coasser. Un alligator rugit. Un grand oiseau s’éleva dans les airs en battant de ses immenses ailes, et le vent se mit à gémir dans les broussailles. Gator était à plat ventre, l’esprit concentré sur la ruche qui pendait aux branches d’un arbre situé devant les cinq hommes. Les abeilles s’agitèrent aussitôt en bourdonnant furieusement et émergèrent de la ruche telle une nuée noire. Des serpents se mirent à l’eau avec des plouf qui se répercutèrent bruyamment sur le canal. Des lézards et des insectes, surgis d’un peu partout, se mirent à grouiller sur le sol.
Les cinq hommes commencèrent à écraser les insectes et les abeilles qui leur tournaient autour, puis coururent pour tenter d’échapper aux dards. L’un d’entre eux fonça directement sur l’une des mines et marcha sur le fil de détente. Le bruit de la détonation projeta ses camarades à terre, et ils vidèrent leurs chargeurs à l’aveuglette vers le ciel.
Nicolas accéda à un terrain en hauteur et se mit en position pour les abattre un par un. Kaden, à ses côtés, l’imita et choisit une cible. Ils tirèrent presque simultanément. Les deux survivants pointèrent leurs armes en direction des coups de feu. Sam signala qu’il était prêt à tirer, ce qu’il fit, suivi de Tucker.
Presque aussitôt, ils entendirent une explosion derrière eux, sur l’autre île. Une boule de feu fendit l’air, retomba dans l’eau et disparut en grésillant dans un panache de fumée noire. Nicolas jura.
— Nettoyez tout ça, ordonna-t-il sèchement avant de courir jusqu’au canal pour le traverser.
Il trouva Dahlia en pleine crise. L’énergie violente lui brûlait les veines, et son corps était pris de convulsions. Il s’agenouilla à côté d’elle et lui prit la main dans l’espoir de la soulager.
— C’est grave ? demanda Kaden en arrivant derrière lui.
Nicolas savait que Dahlia aurait détesté qu’une autre personne la voie dans un tel état, mais comme il n’avait pas le choix, il fit signe à Kaden de prendre son autre main. À eux deux, les stabilisateurs parvinrent à faire disparaître jusqu’à la dernière onde d’énergie violente, puis le corps de la jeune femme s’immobilisa enfin.
Elle détourna la tête et vomit à plusieurs reprises. Nicolas lui tendit une lingette de son sac, qu’elle prit de ses mains tremblantes. Elle avait très mal à la tête, une douleur qui refusait de s’atténuer.
— Je crois qu’on a mal évalué la distance.
Elle essayait de prendre la chose à la légère, ce qui était méritoire vu les circonstances.
Le ventre de Nicolas se noua à ces mots. Il la souleva malgré ses protestations et la porta jusqu’aux bateaux.
— Nous allons trouver un endroit où nous doucher et nous changer. Tu pourras te reposer pendant que j’irai t’acheter des vêtements.
Il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire de plus. Même en la tenant contre lui, il sentait qu’elle se rétractait, qu’elle évitait son regard et tournait la tête pour ne pas montrer son visage à Kaden.
— L’avion va nous attendre, lui rappela ce dernier.
— Qu’il attende, répondit fermement Nicolas.